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Christian BEZIAU Ecrivain

Romans publiés sur Amazon

L'AVERSE

Extrait du roman

  

La nouvelle est parvenue à la mairie.

Adrien Lefort en est le maire depuis quatre mandats. Il voit d’un mauvais œil l’occupation de l’entreprise « BATISSEURS NORMANDS ». Il téléphone aussitôt un « vieil ami », le procureur Trillet.
    • C’est un coup dur ! Il ne nous manquait plus que cela aujourd’hui. Je suis certain qu’il va en profiter. – Se lamente Lefort. – Il faut que l’on trouve une solution rapidement.

Ce qui tracasse le maire, c’est que son adversaire politique peut gagner des points s’il sort gagnant de cette bataille sociale. Il connaît Emmanuel Marleau, d’autant mieux que son fils vit avec l’ex femme de celui-ci. Beaucoup de personnes dans la ville verraient bien une alternance dans la conduite des affaires municipales. Les partisans du patron de l’entreprise de travaux publics et de bâtiment se font tous les jours un peu plus nombreux. Les prochaines élections promettent des surprises. Adrien Lefort se sent toujours de plus en plus inquiet. 

A l’autre bout de la ligne, son interlocuteur tente de le rassurer :
    • Ne soyez pas alarmiste ! Attendons de voir comment il compte régler cette situation. De toutes les façons, nous voyons bien qu’il se trouve aujourd’hui dans une impasse. Il doit ou céder en leur donnant ce qu’ils réclament et dans ce cas il se met contre son conseil d’administration ou faire front et dans ce cas, il va enliser la société dans un affrontement social. Dans les deux cas, il va y avoir de la casse. A mon avis, il ne peut pas s’en sortir.
    • Je pensais avertir la préfecture au cas où cela dégénérerait ! Je ne veux pas après que l’on vienne me faire des reproches question sécurité.
    • Si vous le voulez, nous en reparlerons dans quelques jours. Mais je suis certain que vous vous faites de la bile pour rien. Tout cela ne peut que servir vos intérêts, mon cher.

Le maire raccroche, pas du tout rassuré par les propos que le procureur vient de lui tenir. Il demande à son chef de cabinet de téléphoner à la préfecture pour les tenir informés des troubles qui peuvent se produire. Après tout, il vaut mieux se couvrir sous le parapluie de l’Etat si les choses devaient mal tourner !

Adrien Lefort a de bonnes raisons de craindre la victoire de son adversaire aux prochaines municipales ! Sa gestion n’est pas très nette. La ville, une sous-préfecture d’arrondissement, avec palais de justice et de nombreux services publics, compte près de 30 000 habitants. Le budget est important car la ville reçoit des aides économiques et des subventions pour accompagner un développement qui se poursuit rapidement.

Depuis près de vingt-quatre ans, il en est le maire et cette ville lui appartient, du moins il considère qu’elle lui doit beaucoup et qu’il peut faire tout comme bon lui semble. Alors, au fil du temps, il a pris des habitudes, confondant parfois les intérêts de la ville avec ses propres affaires. Aujourd’hui, à 59 ans il  prend conscience qu’il pourrait rendre des comptes à quelqu’un d’autre. Il sait d’avance qu’en cas de défaite de sa part, son successeur demandera un audit des mandats du vaincu. Et alors !

Alors, il sait qu’Emmanuel Marleau connaît suffisamment bien ses façons de confondre intérêts de la collectivité et les siens. Ce qu’il ignore, c’est l’ampleur du phénomène. Même lui, Adrien Lefort, ne peut chiffrer exactement le montant des détournements plus ou moins réalisés, des pots-de-vin obtenus à l’occasion de la passation des marchés, des avantages sous toutes leurs formes, des arrangements divers. 

S’il tombe, d’autres suivront car il ne tient pas à payer pour tout le monde. Il ne sera pas tout seul dans la charrette. Combien ont profité du système ? Vingt ? Cinquante ? Peut-être même davantage. Alors ! S’il le faut, il citera des noms et pas des moindres ! Ceux qui jusqu’à hier lui demandaient des passe-droits, ceux qui ont marché dans des combines de marchés publics et les autres ! Surtout les autres, ceux qui par-devant s’affichent nets et très scrupuleux et qui par derrière ne manquent pas une occasion pour lui réclamer tant et tant de choses. Tous ces vicieux qui profitent du système mis en place, à force de tractations occultes. En y réfléchissant à deux fois, cela ferait une jolie brochette. Bien entendu, jamais de trace de toutes ces manigances. Pas de courrier, pas de contact officiel, rarement des coups de téléphone car tout le monde a peur de tout le monde. La méfiance est mère de la sécurité. 

Adrien Lefort ne tient pas à plonger lors des prochaines échéances électorales. Il sait intérieurement que les autres ne se gêneront pas pour le plaquer à la moindre anicroche ou au faux pas. Une fois de plus, il lui faudra faire face tout seul !

Il ne tient pas à affronter Emmanuel Marleau sur la place publique. Alors, il faut le faire tomber avant qu’il ne soit trop tard. Sinon……. Sinon, c’est foutu ! Tout s’écroule.

« Le procureur Trillet devrait lui aussi se souvenir ! Cette maudite partie de chasse, il y a maintenant huit ans, au cours de laquelle il y avait eu cette épouvante affaire. Lui, Lefort s’en souvient comme si c’était hier. Cela s’était passé dans le pavillon de chasse qui lui appartient. Ils étaient quatre. Au cours de la journée, ils avaient réussi à tirer trois magnifiques sangliers et un cerf bien coiffé. Comme d’habitude et selon la tradition, ils avaient tous bien fêté la journée et bu plus que de raison. Et puis, il y a eu ce qui devait n’aurait dû jamais se passer. Abrutis par l’alcool, les « amis » n’avaient pas trouvé mieux  que de laisser Trillet taquiner la fille du garde-chasse. Puis, entraîné par des bas instincts insoupçonnés, il l’avait contrainte par la force à satisfaire toutes sortes de désirs sexuels. Entraînés dans leur connerie, ils l’avaient ensuite laissé la violer. Tous, exceptés Lefort, s’étaient ensuite couchés, l’un après l’autre, sur ce petit corps qui gémissait en se tortillant de douleur. Lorsque le père revint plus tard, après avoir dépecé et préparé les animaux abattus au cours de la journée, il trouva sa fillette inconsciente, allongée sur un divan et les quatre hommes attablés devant des verres. Il ne comprit pas tout de suite ce qui s’était passé, mais voyant le sang qui coulait sur les cuisses de son enfant inconscient, il poussa un hurlement de bête fauve et s’élança sur ceux qui avaient violenté son enfant. Trillet et ses complices, ayant repris leurs esprits, comprirent la gravité de leurs actes et s’enfuirent immédiatement, poursuivis par ce père fou de douleur et de colère qui les menaçait d’un long couteau de boucher. La course se prolongea dans les sous bois aux alentours du rendez-vous de chasse. Les sinistres individus se séparèrent pour augmenter leurs chances de s’enfuir. Le garde chasse choisit de s’élancer sur la voie de Trillet. Au saut d’un fossé, l’homme trébucha en se prenant un pied dans une racine. Ses bras battirent l’air un instant, tel un grand oiseau qui veut prendre son envol mais il ne put rétablir son équilibre et tomba maladroitement dans le fossé. Trillet se retourna exténué et attendit que sa respiration se calme. Sa gorge lui faisait très mal. Il cracha du sang. Les autres ralentirent à leur tour leurs courses. Un immense silence se plaça dans la forêt. Au bout de quelques instants, Trillet pris sur lui de se rapprocher du fossé. Ce qu’il vit le figea. Le garde chasse s’était brisé la nuque sur des branches enchevêtrées au fond du fossé. Le lendemain les gendarmes découvrirent le père étendu dans la cuisine de sa maison et la fillette prostrée dans sa chambre. Elle avait perdu tout contact avec le monde extérieur. Le procureur Trillet avait ouvert un dossier pénal, qu’il s’était empressé de classer rapidement faute de témoin et avait confié l’enfant à une institution. Les quatre individus se voyaient désormais tenus par ce terrible secret qui les liait. Ce qu’aucun ne savait, c’est que le neveu de la victime, traqueur le jour du drame, avait assisté à tout sans se faire remarquer. Il s’était enfui sans se faire remarquer. Huit ans s’étaient passés mais sa mémoire était toujours intacte et il revoyait encore ces images affreuses.


Lefort craint qu’avec la grève et l’occupation de la société, Marleau ne trouve encore une astuce pour faire de la publicité à bon compte. Il pourrait même tourner à son avantage ce mouvement et en sortir vainqueur. Cet homme est capable de tout, surtout de l’impossible ! Et ces élections qui vont avoir lieu dans moins de trois mois.

Dehors, il peut encore. De la fenêtre de son bureau, le maire regarde les voitures de police qui filent vers la société assiégée : les ordres du préfet sans doute. Il a bien fait de le faire appeler celui-là. De ce côté là, on ne viendra pas lui faire de reproche. Maintenant, il ne manquerait plus que la presse s’en mêle.

Tout frissonnant, il se dirige ensuite vers une armoire métallique dont lui seul à la clé. Il ne tient pas à ce que n’importe qui puisse connaître ses intimes secrets. Détenteur d’un bien trop lourd passé qu’il partage avec « les autres », il doit se prouver qu’il peut encore résister à l’usure du temps et aux remords au mépris des cauchemars. Gardien impossible d’un crime odieux comme d’un malade incurable qui voit défiler les jours qui le reprochent d’une issue fatale. « Il faut tenir le plus longtemps et jusqu’à là, ça va ! Mais, les autres vont ils eux aussi s’accrocher sans perdre une assurance de tous les instants indispensables pour ne pas se vendre en entraînant la clique ? »

De toute façon, Adrien Lefort a conservé des preuves de cette tragédie. Minutieusement, il a rassemblé les coupures de presse, les photos qui ont été prises par les journalistes. Mais ce qu’il maintient au plus profond de ses archives, ce sont les photos prises le jour du drame. Chaque fois qu’il y avait un beau tableau de chasse, les participants étaient photographiés ensemble avec les pièces de gibier. Ils étaient tous là ! Tous les quatre tenant fièrement leurs armes, avec les rabatteurs en second plan. Il y avait également le cahier sur lequel, tous les participants étaient venus, chasseurs et rabatteurs, signer le matin avant le rappel des consignes et le départ de la première battue. Mais le plus important était la couverture souillée sur laquelle les monstres avaient abusé de la fillette. Cette couverture qu’il n’avait pu rapporter, ni détruire, il l’avait dissimulée dans un réduit derrière un tas de bois. Les autres chasseurs et rabatteurs n’avaient à aucun moment fait le rapprochement entre le décès du garde-chasse, « chez lui » et la sortie de chasse la veille.

 Le maire n’est pas aussi rassuré qu’il voudrait bien se convaincre. Il ne cesse d’avoir peur : « Quand je vois l’un ou l’autre, je ne peux m’empêcher de m’angoisser car j’ai constamment des doutes de leur capacité à tenir leur serment de rester placides. » Il se passe une main nerveuse dans ses cheveux blancs et graisseux. Geste irréfléchi qui dénote une frébilité. « Quand je repense à cet idiot qui a été impressionné par les photos dans le journal ! Il avait bien failli par ses propos nous mettre tous les quatre dans le pétrin ». Se dit-il en revoyant

Quelqu’un frappe à la porte :
    • Tout le monde est prêt pour la commission d’ouverture des plis, monsieur le maire. – lui annonce le directeur des affaires financières en lui remettant une chemise cartonnée.
    • Allons-y.

Lefort est décidé cette fois-ci de n’accorder aucune faveur. Tant pis pour cet abruti qui comptait fermement sur ce marché de fournitures. Il s’agit de ne pas en rajouter.

Son cerveau se mit soudainement à lui faire mal. Une petite musique revenait constamment comme une complainte sur un disque rayé. Il y avait aussi cette voix  faible et presque inaudible qui répétait les mêmes mots « Viens….Approche plus près de moi… viens…. Tu ne dois pas partir… reste encore…donne-moi la main.. ». Il souffrait de ces malaises de plus en plus souvent et toujours lorsqu’il avait des difficultés qui surgissaient brutalement. Il n’y avait au début pas portée beaucoup d’attention, mais depuis quelques temps, cela revenait plus fréquemment. 

Il chercha à se raccrocher à la réalité du moment et surtout ne pas s’affoler. C’est l’un de ses adjoints, invités à la séance de travail, qui lui permis de reprendre ses esprits. 

    • Je pense que Morisset aura les travaux. Il est prêt à nous faire une remise sur la couverture de la salle de musique.
Adrien Lefort sursaute :
    • Quoi ! Qu’est-ce que tu dis ? Morisset !

L’adjoint s’écarte, surpris de la réaction du maire qui poursuit :
    • Morisset n’aura rien. Tu m’entends, plus rien. 

Le groupe entre dans la salle de réunion pour étudier les offres des entreprises. Sur un signe discret de l’adjoint au maire, tout le monde comprend que la séance risque d’être difficile et surtout que le maire n’est pas de bonne humeur.