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EXTRAIT DU ROMAN
Au cours du dernier trimestre de cette année passée dans le cocon de l’Etat, j’ai pu me documenter sur les filières professionnelles qui pouvaient m’intéresser. A vrai dire, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Le remariage de ma mère avec cet individu m’avait quelque peu perturbé. Je sentais que de toutes les façons je ne pourrai pas revenir à la maison vu que les conditions avaient profondément changé.
Ce que j’ai pu comprendre et apprécier durant mon service c’est qu’en Allemagne, tout comme en France, il y a des forêts. Durant nos sorties nous avons longuement marché dans ces vastes étendues où chaque être devient minuscule, où tout revêt de l’insignifiance. Ce système d’existence basique avec ses quelques règles liées à des chaînes alimentaires me plaisait. J’ai eu une sorte de coup de foudre pour l’environnement, pour les arbres et leurs milieux naturels. Une passion commençait à poindre en moi. Je décidais alors de m’orienter vers cette filière. Après avoir effectué quelques recherches l’Institut Supérieur de Sylviculture accepta de m’inscrire. Cela me rassura un peu.
Je pris la ferme résolution de m’engager dans cette voie et de réussir ce challenge par tous les moyens. Il fallait que je m’en sorte d’une façon ou d’une autre. Celle-ci ne me paraissait pas si mauvaise.
Lorsqu’en septembre je revins à la maison, sitôt mes obligations militaires accomplies, mon beau-père approuva, sans avoir sérieusement discuté avec moi des conséquences d’une telle orientation, mon projet et me pria de m’organiser avant le début des cours. Ma mère, la tête basse en signe de soumission, acquiesça à ces recommandations sans poser de question. Je sentis à ce moment-là qu’un mur venait de s’écrouler entre elle et moi. Comment avait elle pu m’abandonner de cette façon ? Pourquoi avait elle choisi le parti d’accepter sans broncher l’attitude de cet homme? Je regrettais encore plus mon père.
C’est ainsi que j’ai débarqué un matin de fin septembre. J’ai rapidement trouvé cette chambre en consultant une annonce dans le journal. Pour le reste, ce furent trois années d’études difficiles mais captivantes. Etudiant relativement pauvre, je vivais chichement de la rente qu’avait prévue mon père avant son décès. Ce revenu suffisait tout juste à payer la chambre et mes repas pris le midi à l’institut. Pour le reste, les sorties étaient rares, les livres nécessaires étaient souvent empruntés aux copains ou acquis à des étudiants des cours supérieurs qui les cédaient à moindre prix. J’achetais mes quelques habits dans des solderies. Dans l’ensemble c’était dur mais j’y parvenais en tirant un peu partout. La soudure se faisait tant bien que mal. Une fois, j’ai essayé de demander un peu d’argent à ma mère. C’est son mari qui m’a répondu qu’étant désormais parti de la maison il m’appartenait d’agir en homme et de prendre mes précautions afin de gérer mon budget sans vouloir dépenser plus que ce que l’on possède. J’ai conservé cette lettre sur moi.
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Aujourd’hui, j’ai 23 ans. Je viens d’obtenir mon diplôme et j’ai mal à la tête. Ma grande satisfaction est d’avoir réussi ce challenge contre tout le monde. J’ai pu me prouver qu’après tout je pouvais réussir en mettant toutes les chances de mon côté. Certes, j’ai eu de la chance mais j’ai aussi travaillé et pas mal bidouillé.
Je me soulève un peu sur un coude. Un goût amer dans la bouche m’indispose. Sans doute les mélanges d’alcool qui titillent ma vésicule biliaire et provoquent des brûlures gastriques. On s’est bien marré aujourd’hui tous ensemble. Quelle nouba ! Il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas autant amusé.
Dehors, il fait encore jour. Je me lève en me passant les doigts dans les cheveux. Ça va mal. J’ai besoin de prendre un peu l’air. Sur le tabouret qui me sert de table de nuit, le réveil indique 8 heures 15. J’aurais dormi deux heures ! Je prends un pull et sors. Dans le bas de l’escalier, je croise ma logeuse qui me regarde d’un œil scrutateur.
• Ça n’a pas l’air d’aller Julien ?
• Si, si madame. Avec des copains on a fêté les résultats et on n’a pas fait attention. Je suis un peu vasouillard, mais ça va aller.
• Alors, cet examen ?
• Je l’ai.
• Bravo mon petit Julien. Je suis bien contente pour vous.
Là dessus, je lui adresse un petit signe de la main et je gagne la rue. Ouf de l’air ! Ça fait du bien de respirer autre chose que des nuages soporifiques. Je gagne le centre ville où il règne le soir une ambiance sympathique. Les terrasses des cafés sont pleines de gens qui dégustent des glaces. Diverses musiques me parviennent témoignant de la douceur de vivre. Je m’installe à une table et commande un grand perrier. A différents endroits, je vois des copains qui continuent à leur façon la fête. Je n’ai plus envie de me joindre à eux. C’est assez comme ça, il faut un temps pour chaque chose. Soudain, une main se pose sur l’une de mes épaules. C’est Marc Raynaud, mon prof de botanique.
• Bonsoir Lacroix. Vous permettez que je prenne une chaise ?
• Allez-y. Elles sont toutes libres.
• Je voudrais tout d’abord vous féliciter. Je dois avouer que si l’un d’entre vous a pu me surprendre, c’est bien vous Lacroix. Je n’aurais jamais imaginé que vous pouviez réussir.
• Rassurez vous, j’ai sans doute été le premier surpris. Enfin, je ne vais pas me plaindre de l’avoir décroché.
• Bien sûr. D’autant que cette année les épreuves étaient particulièrement dures. Vous n’êtes que 12 sur 37 à être reçus. Ça ne va pas faire de la publicité pour l’institut.
Il commande une bière et poursuit :
• Que comptez vous faire maintenant ?
• Je ne sais pas encore. Sans doute rechercher un poste de gestionnaire dans un parc ou passer un concours pour aller à l’Environnement.
• Vous êtes jeune, seul et plein de bon sens. Pourquoi ne partez vous pas à l’étranger ? Vous savez qu’il y a des places intéressantes à prendre. Avec votre diplôme de spécialité, vous n’auriez pas beaucoup de mal de vous trouver un sérieux débouché, quitte à revenir dans quelques années.
• J’y avais vaguement songé, mais je n’y avais pas prêté plus d’attention car je ne pensais pas réussir comme ça, du premier coup.
• Il y a un site sur Internet qui s’est consacré à tout ce qui touche le domaine forestier dans le monde. Un chapitre est réservé aux questions d’emploi. Voyez si vous ne pouvez pas y trouver quelque chose.
De retour à la chambre, je me sens mieux. Cette journée aura été complète. Une bonne nuit de sommeil réparera les maux et me remettra d’aplomb.
En regardant ma montre, je constate que j’ai complètement oublié Catherine. Tant pis, j’essaierai de la voir demain pour m’excuser. Elle aussi commence à m’agacer avec toutes ses idées et tous ses rêves-
J’ai suivi de conseil de Marc Raynaud en me rendant le lendemain matin au bureau des étudiants de l’institut. La responsable m’a à la bonne. Lorsque je lui ai parlé de consulter Internet elle m’a accompagné jusqu'à un micro-ordinateur qui fonctionne un peu en libre service. A moi de me connecter comme un grand et de faire les recherches nécessaires.
Grâce à un moteur de recherche facile à piloter j’ai trouvé le site en question. C’est vrai que les informations contenues sont complètes et détaillées. Tous les domaines traitant du thème de la forêt sont présents. Je retrouve des sujets qui ont fait partie de mes cours et d’autres plus ou moins spécialisés dans d’autres domaines. Je trouve notamment une page plus particulièrement consacrée à l’emploi. C’est fou le nombre de postes qui sont disponibles un peu partout. Toutes les qualifications sont recherchées et tous les pays du monde sont indiqués. Lorsqu’on pense au chômage qui existe on se demande pourquoi on n’arrive pas faire coïncider les offres et les demandes. Il est vrai que certains métiers sont difficiles à exercer et souvent dans des conditions qui frisent l’inconscience. Pour l’ensemble des postes, il faut accepter de s’expatrier pendant un certain temps. Je sélectionne des profils de poste compatibles avec ma formation et lance une édition des résultats. Une liste détaillée apparaît bientôt sur plusieurs feuilles qui sortent de l’imprimante. Je les prends et retourne voir la responsable du bureau la remercier de son aide.
A la poste, il y a toujours autant de monde dans des files d’attente. Parmi ces gens, je reconnais Dumoulin qui porte dans ses bras un paquet ficelé et étiqueté.
• C'est l’anniversaire de ma nièce. Je lui envoie une poupée du coin, elle en fait la collection. Je ne pense pas qu’elle ait celle-ci.
• T'aurais pas sur toi une carte téléphonique ? Je dois téléphoner à ma mère pour lui annoncer les résultats.
Il pose son colis encombrant et fouille dans une poche intérieure de son blouson. Il en extrait une carte encore sous emballage et une autre usagée.
• Il doit encore rester quelques unités sur celle-ci. T’as qu’à les utiliser.
• Merci.
Il reprend sa place dans la file et je me précipite dehors pour trouver une cabine de libre. Le combiné à une main, la carte dans l’autre, je m’arrête. C’est bête, mais je ne me souviens plus du numéro ! Ça fait pas mal de temps que je ne l’aie plus composé et il m’est complètement sorti de la tête. En plus, je n’ai pas pris mon portefeuille sur moi. J’aurais pu le retrouver dans le répertoire téléphonique. Dommage, il faudra que je revienne. Je sors, en rage contre moi.
La matinée est belle, un souffle léger rafraîchit les ardeurs du soleil qui commence à chauffer durement. Aujourd’hui, c’est jour de marché. Souvent, il m’arrive de m’y promener afin de retrouver cette agréable ambiance qui réunit les commerçants et les clients. Il y règne des couleurs et des odeurs salées, épicées, sucrées, dans des mélanges les plus divers. Je décide une fois de plus de m’y rendre pour mon plus grand plaisir. Des fleurs par brassées, des fruits parfumés, notamment des cerises et des abricots que l’on chipe sous le regard faussement critique des commerçants, des bancs de poissons et de crustacés où s’agitent des homards et des araignées de mer encore bien vivants. Tout ce monde se côtoie avec beaucoup de simplicité et de complicité. Les cris et les rires qui fusent constamment alimentent cette ruche géante. Cela me rappelle les marchés où ma grand-mère m’emmenait lorsque j’étais tout jeune enfant. J’étais très impressionné par tout ce qui m’entourait. Nous revenions avec nos commissions en dégustant des fruits et des friandises qu’elle m’achetait. Toutes ces images sont toujours bien intactes dans mon esprit. Alors, traverser un marché comme celui-ci me permet de me replonger dans mon enfance.
Je m’achète un sandwich et décide d’aller le manger au bord de l’eau, le long du canal qui passe non loin de la cathédrale. Il y a souvent des bateaux qui s’arrêtent le temps d’une courte visite. Ces bateaux représentent des instants de rêve et de liberté. J’envie quelquefois ceux qui sont dessus. Malheureusement, je ne peux que les contempler.
Confortablement installé sur un banc, je contemple dans l’eau les branches de l’arbre qui m’abrite du soleil. Au grès des vaguelettes formées par le souffle du vent, ces branches prennent des formes bizarres. Je me sens bien. Les yeux fermés, j’écoute le clapotis de l’eau sur les coques des bateaux amarrés tout près. Je mords mon sandwich par petites bouchées pour faire durer le plaisir de manger ce pain qui vient juste de sortir du four. J’ai l’impression que le temps s’arrête, que mon corps n’existe plus, que je suis ailleurs ou nul part. Mon esprit tente de faire le vide. J’ai besoin de balayer et de nettoyer mes pensées afin d’avoir une vision plus nette de ce que je suis ou du moins de ce que je crois être. Je sens mon corps qui commence à se détendre comme si des éléments s’empressaient de le quitter pour le libérer de toutes contraintes malsaines. Je reste ainsi immobile un long moment goûtant le fruit de ce bien-être révélateur.
Quelle va être maintenant ma vie ?
Ce sont les cloches de la cathédrale qui, en sonnant les douze coups de midi, me ramènent à une réalité. C’est totalement détendu que je finis tranquillement mon frugal repas. Aussitôt après, j’effectue une lecture attentive des postes offerts sur le site Internet susceptibles de pouvoir m’intéresser.
Mes critères de sélection n’ayant pas été suffisamment exprimés, je dois éliminer les postes qui ne correspondent pas à mon profit et à mes centres d’intérêt. Ce travail étant accompli, il reste encore 3 postes. Le premier est basé au Canada, il s’agit de réaliser une étude environnementale relative à l’impact des pollutions sur l’écosystème forestier dans la province du Québec. Le deuxième consiste à prendre en charge le phénomène de déboisement par les populations à la recherche de nouveaux terrains agricoles et ses incidences économiques dans une région du Brésil. Le troisième est une offre d’emploi lancée par un particulier, propriétaire d’un immense domaine forestier en Slovénie, qui recherche un gestionnaire pouvant mettre en place un modèle d’observation patrimoniale à long terme.
Il s’agit de 3 postes différents, mais combien intéressants. Bien sûr, la formation suivie au cours de ces années me permet valablement de postuler. Il s’agit d’un choix à faire suivant des critères d’ordre personnel. Après tout, le sort a bien voulu m’ouvrir la voix du succès, autant lui donner encore le soin de décider pour l’avenir. Je vais envoyer mon dossier en réponse à chacune de ces propositions. Sans doute ne verrais-je rien venir sinon le premier qui se décide sera le bon. Je n’ai rien à perdre, ayant tout perdu avec la mort de mon père. Je ne dispose que de mon temps.
Fort de cette décision prise sans trop de réflexion, je referme les yeux à nouveau en basculant la tête en arrière. Le bien-être aussitôt m’envahit me procurant une sensation de flottement. Le vide intérieur se crée m’emportant très loin de toute matérialité. Ça fait vraiment du bien de se laisser ainsi partir dans l’inconscient.
Lorsque je reprends vie au bord de ce canal, je constate que plusieurs bateaux ont été remplacés par d’autres, que des pêcheurs se sont installés en face sur une sorte de ponton en bois et que des promeneurs profitent de la fraîcheur des arbres pour aller le long des chemins de halage. Je me lève lentement en étirant mes membres engourdis et refais le trajet inverse pour passer chercher dans ma chambre mon portefeuille avant d’aller téléphoner à ma mère.
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Je suis enfin dans une cabine téléphonique. Maintenant que je compose le numéro, celui-ci me revient à l’esprit. C’est plus facile lorsqu’on peut le lire sur un répertoire mais à la réflexion j’aurais pu m’en souvenir. Ça sonne.
• Allô! .
• Bonjour, pourrais je parler à madame.. Dupeyrieux, s’il vous plaît ? J’avais complètement oublié son nouveau nom de famille. Ce doit être une bonne qui a décroché.
• De la part de qui ?
• De son fils.
Je perçois le combiné qu’on repose sur un meuble et le son de ses pas qui résonnent sur le parquet. J’espère qu’elle sait où est ma mère parce que je n’ai pas beaucoup d’unités. Peu de temps après de nouveau des pas, plus rapides et plus secs et puis ma mère prend le téléphone.
• Allô! Julien
• Bonjour maman. Tu vas bien ?
• Oui ça va et toi mon grand ?
• Ça va. Je voulais te dire que je suis reçu à mon diplôme. J’ai enfin terminé.
• C’est bien. Je te félicite car tu as dû en baver durant tout ce temps passé là-bas. Que comptes tu faire maintenant ?
• Je ne sais pas vraiment. Il faut que je réfléchisse un peu.
• Comme tu dois le comprendre, il n’est pas question que tu puisses revenir ici. Alexandre ne le voudrait pas.
• Non, non rassure toi maman, j’ai des projets. Je voulais seulement prendre de tes nouvelles et te dire que j’étais reçu. C’est tout.
• Dans ce cas d’accord. Je te remercie de m’avoir téléphoné. Il faut que je te quitte, Alexandre revient. Au revoir mon chéri, je t’embrasse.
Maman a raccroché avant que je lui dise au revoir. En retirant la carte, je constate qu’il reste encore quelques unités. Moi qui pensais être à court et que la conversation serait coupée ! Enfin, je l’ai eue c’est le principal. Maintenant, je vais retourner à la chambre pour faire mes bagages. Je n’ai plus rien à faire ici. J’irais à Paris, chez ma grand-mère en attendant que mon destin se dessine. C’est à cette adresse que je vais faire suivre mon courrier. Je vais la prévenir tout de suite. Avec elle, il n’y a jamais de problème, je peux y aller quand je le veux. Ma chambre est toujours prête. Je sais qu’elle va être contente de me recevoir. C’est la mère de mon père, alors c’est tout dire sur nos liens d’affection.
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