Christian BEZIAU Ecrivain

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LE DERNIER DEFI

EXTRAIT DU ROMAN

                                                

 

Au cours du dernier trimestre de cette année passée dans le cocon de l’Etat, j’ai pu me documenter sur les filières professionnelles qui pouvaient m’intéresser. A vrai dire, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Le remariage de ma mère avec cet individu m’avait quelque peu perturbé. Je sentais que de toutes les façons je ne pourrai pas revenir à la maison vu que les conditions avaient profondément changé. 

Ce que j’ai pu comprendre et apprécier durant mon service c’est qu’en Allemagne, tout comme en France, il y a des forêts. Durant nos sorties nous avons longuement marché dans ces vastes étendues où chaque être devient minuscule, où tout revêt de l’insignifiance. Ce système d’existence basique avec ses quelques règles liées à des chaînes alimentaires me plaisait. J’ai eu une sorte de coup de foudre pour l’environnement, pour les arbres et leurs milieux naturels. Une passion commençait à poindre en moi. Je décidais alors de m’orienter vers cette filière. Après avoir effectué quelques recherches l’Institut Supérieur de Sylviculture accepta de m’inscrire. Cela me rassura un peu.

Je pris la ferme résolution de m’engager dans cette voie et de réussir ce challenge par tous les moyens. Il fallait que je m’en sorte d’une façon ou d’une autre. Celle-ci ne me paraissait pas si mauvaise.

Lorsqu’en septembre je revins à la maison, sitôt mes obligations militaires accomplies, mon beau-père approuva, sans avoir sérieusement discuté avec moi des conséquences d’une telle orientation, mon projet et me pria de m’organiser avant le début des cours. Ma mère, la tête basse en signe de soumission, acquiesça à ces recommandations sans poser de question. Je sentis à ce moment-là qu’un mur venait de s’écrouler entre elle et moi. Comment avait elle pu m’abandonner de cette façon ? Pourquoi avait elle choisi le parti d’accepter sans broncher l’attitude de cet homme? Je regrettais encore plus mon père.

C’est ainsi que j’ai débarqué un matin de fin septembre. J’ai rapidement trouvé cette chambre en consultant une annonce dans le journal. Pour le reste, ce furent trois années d’études difficiles mais captivantes. Etudiant relativement pauvre, je vivais chichement de la rente qu’avait prévue mon père avant son décès. Ce revenu suffisait tout juste à payer la chambre et mes repas pris le midi à l’institut. Pour le reste, les sorties étaient rares, les livres nécessaires étaient souvent empruntés aux copains ou acquis à des étudiants des cours supérieurs qui les cédaient à moindre prix. J’achetais mes quelques habits dans des solderies. Dans l’ensemble c’était dur mais j’y parvenais en tirant un peu partout. La soudure se faisait tant bien que mal. Une fois, j’ai essayé de demander un peu d’argent à ma mère. C’est son mari qui m’a répondu qu’étant désormais parti de la maison il m’appartenait d’agir en homme et de prendre mes précautions afin de gérer mon budget sans vouloir dépenser plus que ce que l’on possède. J’ai conservé cette lettre sur moi.
-
Aujourd’hui, j’ai 23 ans. Je viens d’obtenir mon diplôme et j’ai mal à la tête. Ma grande satisfaction est d’avoir réussi ce challenge contre tout le monde. J’ai pu me prouver qu’après tout je pouvais réussir en mettant toutes les chances de mon côté. Certes, j’ai eu de la chance mais j’ai aussi travaillé et pas mal bidouillé.

Je me soulève un peu sur un coude. Un goût amer dans la bouche m’indispose. Sans doute les mélanges d’alcool qui titillent ma vésicule biliaire et provoquent des brûlures gastriques. On s’est bien marré aujourd’hui tous ensemble. Quelle nouba ! Il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas autant amusé.

Dehors, il fait encore jour. Je me lève en me passant les doigts dans les cheveux. Ça va mal. J’ai besoin de prendre un peu l’air. Sur le tabouret qui me sert de table de nuit, le réveil indique 8 heures 15. J’aurais dormi deux heures ! Je prends un pull et sors. Dans le bas de l’escalier, je croise ma logeuse qui me regarde d’un œil scrutateur.
    • Ça n’a pas l’air d’aller Julien ?
    • Si, si madame. Avec des copains on a fêté les résultats et on n’a pas fait attention. Je suis un peu vasouillard, mais ça va aller.
    • Alors, cet examen ?
    • Je l’ai.
    • Bravo mon petit Julien. Je suis bien contente pour vous.

Là dessus, je lui adresse un petit signe de la main et je gagne la rue. Ouf de l’air ! Ça fait du bien de respirer autre chose que des nuages soporifiques. Je gagne le centre ville où il règne le soir une ambiance sympathique. Les terrasses des cafés sont pleines de gens qui dégustent des glaces. Diverses musiques me parviennent témoignant de la douceur de vivre. Je m’installe à une table et commande un grand perrier. A différents endroits, je vois des copains qui continuent à leur façon la fête. Je n’ai plus envie de me joindre à eux. C’est assez comme ça, il faut un temps pour chaque chose. Soudain, une main se pose sur l’une de mes épaules. C’est Marc Raynaud, mon prof de botanique.
    • Bonsoir Lacroix. Vous permettez que je prenne une chaise ?
    • Allez-y. Elles sont toutes libres.
    • Je voudrais tout d’abord vous féliciter. Je dois avouer que si l’un d’entre vous a pu me surprendre, c’est bien vous Lacroix. Je n’aurais jamais imaginé que vous pouviez réussir.
    • Rassurez vous, j’ai sans doute été le premier surpris. Enfin, je ne vais pas me plaindre de l’avoir décroché.
    • Bien sûr. D’autant que cette année les épreuves étaient particulièrement dures. Vous n’êtes que 12 sur 37 à être reçus. Ça ne va pas faire de la publicité pour l’institut.

Il commande une bière et poursuit :
    • Que comptez vous faire maintenant ?
    • Je ne sais pas encore. Sans doute rechercher un poste de gestionnaire dans un parc ou passer un concours pour aller à l’Environnement.
    • Vous êtes jeune, seul et plein de bon sens. Pourquoi ne partez vous pas à l’étranger ? Vous savez qu’il y a des places intéressantes à prendre. Avec votre diplôme de spécialité, vous n’auriez pas beaucoup de mal de vous trouver un sérieux débouché, quitte à revenir dans quelques années.
    • J’y avais vaguement songé, mais je n’y avais pas prêté plus d’attention car je ne pensais pas réussir comme ça, du premier coup.
    • Il y a un site sur Internet qui s’est consacré à tout ce qui touche le domaine forestier dans le monde. Un chapitre est réservé aux questions d’emploi. Voyez si vous ne pouvez pas y trouver quelque chose.

De retour à la chambre, je me sens mieux. Cette journée aura été complète. Une bonne nuit de sommeil réparera les maux et me remettra d’aplomb.

En regardant ma montre, je constate que j’ai complètement oublié Catherine. Tant pis, j’essaierai de la voir demain pour m’excuser. Elle aussi commence à m’agacer avec toutes ses idées et tous ses rêves-


J’ai suivi de conseil de Marc Raynaud en me rendant le lendemain matin au bureau des étudiants de l’institut. La responsable m’a à la bonne. Lorsque je lui ai parlé de consulter Internet elle m’a accompagné jusqu'à un micro-ordinateur qui fonctionne un peu en libre service. A moi de me connecter comme un grand et de faire les recherches nécessaires.

Grâce à un moteur de recherche facile à piloter j’ai trouvé le site en question. C’est vrai que les informations contenues sont complètes et détaillées. Tous les domaines traitant du thème de la forêt sont présents. Je retrouve des sujets qui ont fait partie de mes cours et d’autres plus ou moins spécialisés dans d’autres domaines. Je trouve notamment une page plus particulièrement consacrée à l’emploi. C’est fou le nombre de postes qui sont disponibles un peu partout. Toutes les qualifications sont recherchées et tous les pays du monde sont indiqués. Lorsqu’on pense au chômage qui existe on se demande pourquoi on n’arrive pas faire coïncider les offres et les demandes. Il est vrai que certains métiers sont difficiles à exercer et souvent dans des conditions qui frisent l’inconscience. Pour l’ensemble des postes, il faut accepter de s’expatrier pendant un certain temps. Je sélectionne des profils de poste compatibles avec ma formation et lance une édition des résultats. Une liste détaillée apparaît bientôt sur plusieurs feuilles qui sortent de l’imprimante. Je les prends et retourne voir la responsable du bureau la remercier de son aide. 

A la poste, il y a toujours autant de monde dans des files d’attente. Parmi ces gens, je reconnais Dumoulin qui porte dans ses bras un paquet ficelé et étiqueté.
    • C'est l’anniversaire de ma nièce. Je lui envoie une poupée du coin, elle en fait la collection. Je ne pense pas qu’elle ait celle-ci.
    • T'aurais pas sur toi une carte téléphonique ? Je dois téléphoner à ma mère pour lui annoncer les résultats.

Il pose son colis encombrant et fouille dans une poche intérieure de son blouson. Il en extrait une carte encore sous emballage et une autre usagée.
    • Il doit encore rester quelques unités sur celle-ci. T’as qu’à les utiliser.
    • Merci.

Il reprend sa place dans la file et je me précipite dehors pour trouver une cabine de libre. Le combiné à une main, la carte dans l’autre, je m’arrête. C’est bête, mais je ne me souviens plus du numéro ! Ça fait pas mal de temps que je ne l’aie plus composé et il m’est complètement sorti de la tête. En plus, je n’ai pas pris mon portefeuille sur moi. J’aurais pu le retrouver dans le répertoire téléphonique. Dommage, il faudra que je revienne. Je sors, en rage contre moi.

La matinée est belle, un souffle léger rafraîchit les ardeurs du soleil qui commence à chauffer durement. Aujourd’hui, c’est jour de marché. Souvent, il m’arrive de m’y promener afin de retrouver cette agréable ambiance qui réunit les commerçants et les clients. Il y règne des couleurs et des odeurs salées, épicées, sucrées, dans des mélanges les plus divers. Je décide une fois de plus de m’y rendre pour mon plus grand plaisir. Des fleurs par brassées, des fruits parfumés, notamment des cerises et des abricots que l’on chipe sous le regard faussement critique des commerçants, des bancs de poissons et de crustacés où s’agitent des homards et des araignées de mer encore bien vivants. Tout ce monde se côtoie avec beaucoup de simplicité et de complicité. Les cris et les rires qui fusent constamment alimentent cette ruche géante. Cela me rappelle les marchés où ma grand-mère m’emmenait lorsque j’étais tout jeune enfant. J’étais très impressionné par tout ce qui m’entourait. Nous revenions avec nos commissions en dégustant des fruits et des friandises qu’elle m’achetait. Toutes ces images sont toujours bien intactes dans mon esprit. Alors, traverser un marché comme celui-ci me permet de me replonger dans mon enfance.

Je m’achète un sandwich et décide d’aller le manger au bord de l’eau, le long du canal qui passe non loin de la cathédrale. Il y a souvent des bateaux qui s’arrêtent le temps d’une courte visite. Ces bateaux représentent des instants de rêve et de liberté. J’envie quelquefois ceux qui sont dessus. Malheureusement, je ne peux que les contempler.

Confortablement installé sur un banc, je contemple dans l’eau les branches de l’arbre qui m’abrite du soleil. Au grès des vaguelettes formées par le souffle du vent, ces branches prennent des formes bizarres. Je me sens bien. Les yeux fermés, j’écoute le clapotis de l’eau sur les coques des bateaux amarrés tout près. Je mords mon sandwich par petites bouchées pour faire durer le plaisir de manger ce pain qui vient juste de sortir du four. J’ai l’impression que le temps s’arrête, que mon corps n’existe plus, que je suis ailleurs ou nul part. Mon esprit tente de faire le vide. J’ai besoin de balayer et de nettoyer mes pensées afin d’avoir une vision plus nette de ce que je suis ou du moins de ce que je crois être. Je sens mon corps qui commence à se détendre comme si des éléments s’empressaient de le quitter pour le libérer de toutes contraintes malsaines. Je reste ainsi immobile un long moment goûtant le fruit de ce bien-être révélateur.

Quelle va être maintenant ma vie ?

Ce sont les cloches de la cathédrale qui, en sonnant les douze coups de midi, me ramènent à une réalité. C’est totalement détendu que je finis tranquillement mon frugal repas. Aussitôt après, j’effectue une lecture attentive des postes offerts sur le site Internet susceptibles de pouvoir m’intéresser.

Mes critères de sélection n’ayant pas été suffisamment exprimés, je dois éliminer les postes qui ne correspondent pas à mon profit et à mes centres d’intérêt. Ce travail étant accompli, il reste encore 3 postes. Le premier est basé au Canada, il s’agit de réaliser une étude environnementale relative à l’impact des pollutions sur l’écosystème forestier dans la province du Québec. Le deuxième consiste à prendre en charge le phénomène de déboisement par les populations à la recherche de nouveaux terrains agricoles et ses incidences économiques dans une région du Brésil. Le troisième est une offre d’emploi lancée par un particulier, propriétaire d’un immense domaine forestier en Slovénie, qui recherche un gestionnaire pouvant mettre en place un modèle d’observation patrimoniale à long terme.

Il s’agit de 3 postes différents, mais combien intéressants. Bien sûr, la formation suivie au cours de ces années me permet valablement de postuler. Il s’agit d’un choix à faire suivant des critères d’ordre personnel. Après tout, le sort a bien voulu m’ouvrir la voix du succès, autant lui donner encore le soin de décider pour l’avenir. Je vais envoyer mon dossier en réponse à chacune de ces propositions. Sans doute ne verrais-je rien venir sinon le premier qui se décide sera le bon. Je n’ai rien à perdre, ayant tout perdu avec la mort de mon père. Je ne dispose que de mon temps.

Fort de cette décision prise sans trop de réflexion, je referme les yeux à nouveau en basculant la tête en arrière. Le bien-être aussitôt m’envahit me procurant une sensation de flottement. Le vide intérieur se crée m’emportant très loin de toute matérialité. Ça fait vraiment du bien de se laisser ainsi partir dans l’inconscient.

Lorsque je reprends vie au bord de ce canal, je constate que plusieurs bateaux ont été remplacés par d’autres, que des pêcheurs se sont installés en face sur une sorte de ponton en bois et que des promeneurs profitent de la fraîcheur des arbres pour aller le long des chemins de halage. Je me lève lentement en étirant mes membres engourdis et refais le trajet inverse pour passer chercher dans ma chambre mon portefeuille avant d’aller téléphoner à ma mère.

-

Je suis enfin dans une cabine téléphonique. Maintenant que je compose le numéro, celui-ci me revient à l’esprit. C’est plus facile lorsqu’on peut le lire sur un répertoire mais à la réflexion j’aurais pu m’en souvenir. Ça sonne.

    • Allô! .
    • Bonjour, pourrais je parler à madame.. Dupeyrieux, s’il vous plaît ? J’avais complètement oublié son nouveau nom de famille. Ce doit être une bonne qui a décroché.
    • De la part de qui ?
    • De son fils.

Je perçois le combiné qu’on repose sur un meuble et le son de ses pas qui résonnent sur le parquet. J’espère qu’elle sait où est ma mère parce que je n’ai pas beaucoup d’unités. Peu de temps après de nouveau des pas, plus rapides et plus secs et puis ma mère prend le téléphone.
    • Allô! Julien 
    • Bonjour maman. Tu vas bien ?
    • Oui ça va et toi mon grand ?
    • Ça va. Je voulais te dire que je suis reçu à mon diplôme. J’ai enfin terminé.
    • C’est bien. Je te félicite car tu as dû en baver durant tout ce temps passé là-bas. Que comptes tu faire maintenant ?
    • Je ne sais pas vraiment. Il faut que je réfléchisse un peu.
    • Comme tu dois le comprendre, il n’est pas question que tu puisses revenir ici. Alexandre ne le voudrait pas.
    • Non, non rassure toi maman, j’ai des projets. Je voulais seulement prendre de tes nouvelles et te dire que j’étais reçu. C’est tout.
    • Dans ce cas d’accord. Je te remercie de m’avoir téléphoné. Il faut que je te quitte, Alexandre revient. Au revoir mon chéri, je t’embrasse.

Maman a raccroché avant que je lui dise au revoir. En retirant la carte, je constate qu’il reste encore quelques unités. Moi qui pensais être à court et que la conversation serait coupée ! Enfin, je l’ai eue c’est le principal. Maintenant, je vais retourner à la chambre pour faire mes bagages. Je n’ai plus rien à faire ici. J’irais à Paris, chez ma grand-mère en attendant que mon destin se dessine. C’est à cette adresse que je vais faire suivre mon courrier. Je vais la prévenir tout de suite. Avec elle, il n’y a jamais de problème, je peux y aller quand je le veux. Ma chambre est toujours prête. Je sais qu’elle va être contente de me recevoir. C’est la mère de mon père, alors c’est tout dire sur nos liens d’affection.

Lorsque j'arrive, place Sainte-Elodie, il y a déjà longtemps que la plupart de mes copains connaissent leur sort. Quant à moi, je me fous de savoir si ça a marché ou pas. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Je me suis levé comme d’habitude et j’ai déjeuné sans vraiment me préoccuper des résultats. Ce n’est pas maintenant qu’il faut y penser. « On verra bien ! . Si j’en crois tout le monde, je vais « me ramasser un manteau qui me tiendra chaud tout l’hiver. Personne à ma connaissance ne croit que je pourrai faire quelque chose de sérieux. Sauf peut-être ma grand-mère paternelle qui représente encore mon seul vrai lien d’affection. Elle est bien la seule à y croire. Depuis son remariage, ma mère a été absorbée littéralement par son mari. Alors, moi ?
L’Institut Supérieur de Sylviculture est situé place Sainte-Elodie. Sa vieille architecture démodée s’affiche avec prétention aux côtés de non moins arrogantes maisons bourgeoises habitées par les notables de la ville. Au centre de cette place, une fontaine déverse inlassablement de l’eau qui jaillit de la bouche de poissons grotesques et ternis depuis longtemps par des années de pollution. Lorsque je traverse la place, des pigeons s’envolent pour aller se reposer quelques mètres plus loin, indifférents à ma nonchalance.
Les résultats sont normalement affichés depuis 9 heures. Il est midi moins vingt. Aussi, en m’approchant de la porte sur laquelle est fixée une feuille, il ne reste vraiment plus beaucoup de monde. La plupart des étudiants sont venus dès la publication comme si cela pouvait faire quelque chose au sort qui leur était réservé. Seuls quelques petits groupes commentent entre eux les résultats obtenus. Je distingue des visages familiers de copains.
    • Julien, t’es reçu ! me lance l’un d’eux
    • Ils sont saqués pas mal de monde cette année. Même Dumoulin ne l’a pas eu ! Commente un autre qui doit, vu sa tête, figurer parmi les recalés.
Je m’approche et serre plusieurs poignées de main. Sur la feuille qui commence à être souillée de traces de doigt, je lis mon nom parmi une courte liste de 12 reçus - « Lacroix Julien.
C’est vrai que le nombre de candidats reçus est faible par rapport aux effectifs préparant le diplôme. Je ne comprends pas comment cela a pu se produire. Pourquoi je suis reçu alors que d’autres comme Dumoulin qui ont toujours eu des notes excellentes durant ces trois années ont été recalés ? Intérieurement, je suis assez content d’avoir obtenu mon diplôme. Il serait malhonnête et déplacé de penser le contraire. Je constate cependant qu’être un étudiant tout à fait moyen durant toutes ces années et réussir paie. En vérité, et je l’ai compris dans maintes occasions, seul de résultat final compte. 
Je propose à mes copains de fêter l’événement à la brasserie proche. Accord unanime de tout le monde, reçus et recalés. Nous quittons la place Sainte-Elodie pour gagner un endroit plus convivial et doté des structures d’accueil aptes à recevoir une bande joyeuse.
Je passe prendre Catherine chez elle pour qu’elle vienne fêter avec nous la fin des cours et les résultats.
Catherine est étudiante de deuxième année. C’est ma petite amie depuis un an. Ensemble nous avons bâti un avenir où nous pourrons vivre heureux. Elle croit sincèrement tout ce que nous nous disons. Je l’ai laissée rêver ne voulant pas la décevoir ni interrompre cette histoire. Aujourd’hui, elle est contente pour moi et surtout pour « nous deux. Elle va passer en dernière année d’étude.
 
Nous y retrouvons d’autres étudiants fêtant déjà, depuis près de 3 heures, les résultats et la fin des cours. Ensemble, nous poursuivons les incontournables épreuves des tournées générales qu’ils ont engagées. J’y vais tout naturellement de la mienne. L’établissement qui est quasiment devenu une annexe de l’école depuis de longues années affiche complet aujourd’hui. Le patron et Martine, sa serveuse, ne suffisent plus pour satisfaire les commandes des uns et des autres, en verres, bouteilles et sandwichs. Il règne un tel brouhaha que plus personne ne s’y entend. Les autres clients, n’appartenant pas à notre communauté estudiantine, comprennent la situation et préfèrent pour l’occasion aller ailleurs.
Puis quelqu’un propose que le patron nous prépare le plat du jour. Aussitôt, toutes les tables et les chaises de la salle sont bousculées pour se retrouver dans un alignement digne de recevoir une trentaine de jeunes affamés. En guise de repas de fête, on nous sert des terrines de pâté et de rillettes puis un sauté d’agneau aux flageolets. Nous sommes tous heureux d’être une dernière fois ensemble et nous le célébrons à notre façon avec des chansons et des rires. Même Dumoulin, qui nous a rejoint au début du repas, se paie de franches parties de rigolades. Son échec ne l’émeut pas, il fera une année supplémentaire pour le repasser l’an prochain. Il n’est pas pressé et son avenir est assuré.
En fin d’après-midi, nous songeons à quitter les lieux. Le patron en reverra certains à la prochaine rentrée. Il souhaite bonne chance aux autres. Martine se met à pleurer de voir partir bon nombre de jeunes qu’elle aura connus au cours de ces années d’études et qui vont quitter la ville et sans doute la région. Elle m’embrasse au même titre que les autres. 
Je quitte le groupe à la sortie de la brasserie, après de brefs adieux. J’ai horreur de toutes ces comédies ridicules où l’on se donne ses adresse et numéro de téléphone en promettant de se revoir un jour prochain. Je  n'ai rien donné et rien reçu. Mon destin sera ailleurs et je ne sais pas encore où. Quant à savoir ce que les autres font faire, cela m’est égal. Je tourne une page sur cette existence passée ici. Durant ces trois années, j’ai assuré la présidence de l’association des étudiants. Cela m’a permis d’avoir d’une certaine façon des avantages dont j’ai bénéficiés largement. Enfin, je m’en suis bien sorti aux autres maintenant de se débrouiller car je n’ai plus rien à voir avec tout cela.
Je dis à Catherine que je préfère rester seul pour régler quelques affaires. Elle ne dit rien de peur de me contrarier. Elle repart seule après m’avoir embrassé.
    • Tu viendras me chercher ce soir Julien ? Nous pourrons aller manger quelque chose. J’aimerais tant que nous soyons ensemble.
    • D'accord, je passerai te prendre vers 9 heures.
Je regarde ma montre. 6 heures moins 10. Avec un peu de chance, la poste sera encore ouverte et il me sera sans doute possible de téléphoner à ma mère. 
En parcourant la courte distance qui me sépare de la poste je réfléchis à ce qui m’est arrivé ce matin. Dans un sens, c’est plutôt bien que je sois reçu. Dire que je suis content serait un peu exagéré. Disons plus simplement que j’ai eu du pot. Alors que ma moyenne en maths flirtait sans complexe autour de 6 ou 7, j’ai eu l’impression que l’épreuve avait été choisie exprès pour moi. J’avais suivi le conseil d’un vieux prof qui m’avait dit «  si tu es quasiment mauvais en maths, ne cherche pas comprendre un peu de tout dans le programme ; concentre-toi sur un seul sujet et retiens tout par cœur. Si l’épreuve tombe dessus, alors tu peux être sauvé ». J’avais en désespoir de cause potasser à fond un court chapitre du programme : banco ! Avec un fort coefficient à la clé cela avait également atténué mes faiblesses en chimie et physique. Par contre, j’étais certain d’avoir réussi l’épreuve de botanique et toutes celles qui tournaient sur les sciences. Le vieux prof m’avait en sorte donné une bonne leçon.
J’entre dans la poste en constatant que les files d’attente pour accéder aux guichets sont trop importantes pour que je patiente. Dommage, je n’ai pas de cartes téléphoniques. Je n'en ai d’ailleurs jamais eu. Les seules que j’ai eues en main étaient toutes périmées. Je les donnais à un copain qui en faisait une collection. Tant pis, je téléphonerai demain. Cela peut bien attendre une journée. Je décide de rentrer chez moi.
En fait de « chez moi », il s’agit d’une pièce mansardée située dans une maison du faubourg. Ma logeuse est gentille et serviable. Je lui porte ses filets à commission qu’elle laisse au magasin d’alimentation générale. Je passe au magasin chaque soir en rentrant et l’on me dit s’il y a quelque chose à prendre. Comme je n’ai pas beaucoup d’argent, je lui ai repeint sa cuisine et sa salle de bains et mis un nouveau papier peint dans son séjour. En échange, elle m’a accordé des facilités pour payer la chambre. Nous nous entendons bien.
Arrivé dans ma chambre, je m’allonge sur le lit. Durant cette journée, nous avons pas mal bu. J’ai un sérieux mal de crâne qui me prend subitement. La chaleur extérieure en ce début de juillet n’est pas la seule responsable de ce phénomène. Après tout, ce genre de fête n’arrive pas tous les jours. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de m’amuser de façon aussi décontractée.
Soudain, je suis surpris par tout ce calme qui règne autour de moi. Cela m’étourdit en me rend morose. Mon esprit s’en va ailleurs me privant de me fixer sur les choses sérieuses qui vont maintenant arriver. Tant pis.
Je me revois quelques années auparavant. Ma mère venait de m’annoncer son intention de se remarier avec Alexandre Dupeyrieux, médecin. Je ne le connaissais pas. Ma mère avait fait sa connaissance à Paris dans, je ne sais quelle occasion. J’ai toujours pensé en réalité qu’ils avaient chacun de leur côté contacté une agence matrimoniale. Je n’en voulais pas à ma mère car veuve à moins de 40 ans, elle était restée belle et pouvait raisonnablement encore espérer trouver le bonheur auprès d’un autre homme. Mon père était décédé à la suite d’un accident de la route. En m’annonçant son désir de revivre avec quelqu’un six ans après le départ de mon père, je ne voyais pas d’inconvénient. Elle me présenta à Alexandre Dupeyrieux en l’invitant un après-midi. L’homme me parut courtois et cultivé. Après tout, c’était surtout ma mère qui était concernée par sa présence. C’était, il y a maintenant sept ans. Depuis, les choses avaient considérablement changé. Je puis vous le certifier, la vie que j’avais connue du temps où mon père vivait encore et celles qui furent établies peu de temps après que ma mère ait signé son acte de mariage, n’ont vraiment pas été les mêmes. 
Mon père, de son vivant était un vrai « patron » dans le bâtiment. Parti de presque peu de choses, il avait bâti un petit empire dans sa région, en captant les meilleures affaires. Son franc parler lui valait des railleries mais il n’en tenait pas compte. Son but était de toujours monter. Lorsqu’on part de rien, il semble facile de pouvoir monter plus haut. C’est faux ! Si l’on est rien on peut rester rien, voire devenir moins que rien. Mon père a bouffé des cailloux et s’est usé les mains. A force d’en vouloir, il est parvenu à bouffer les autres et enfin, à creuser sa place. Ma mère l’a toujours soutenu en silence en montrant son entière confiance dans ce qu’il entreprenait. Plusieurs fois, la police s’est présentée chez nous pour obtenir des informations concernant des chantiers ou des contrats. Jamais ma mère n’a eu une attitude pouvant mettre mon père en difficulté. Ils formaient un couple parfait. 
Enfant de la balle, mon père accordait trop d’attention à des choses qui me semblaient ne pas avoir d’importance. Pour lui, il n’y avait pas de petites misères ni de petites difficultés. « Je me dois également à ceux qui sont de ma vraie condition » me disait-il souvent. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait me faire comprendre. Sans doute étais-je déjà devenu une sorte d’arriviste nanti.
En homme prévoyant, mon père avait pris des dispositions importantes au cas où il viendrait à décéder. Bien lui en pris, du moins pour nous ses héritiers. A son décès, j’avais 17 ans et ma mère 37. Nous étions trop jeunes pour hériter d’un être trop cher sur lequel nous comptions trop pour répondre de nos besoins et de notre suffisance, dans un monde qu’en réalité nous appréhendions avec frayeur. Nous cachions nos êtres trop fragiles derrière cet homme dont le seul nom et la seule apparition soulevait déjà le respect.
Le notaire expliqua à ma mère que mon père avait placé des fonds importants destinés à me revenir lorsque j’aurais atteint l’âge révolu de 25 ans et souscrit à mon profit une rente éducation me permettant de disposer d’un revenu jusqu'à mes 25 ans. En homme prévoyant, mon père avait tout prévu pour mettre les siens à l’abris des difficultés matérielles.
Ma mère, au cours du premier conseil d’administration du groupe qu’elle présida, en confia la direction générale à celui qui avait tenu de nombreuses années les fonctions d’adjoint de mon père. Cet homme intègre qui avait toujours travaillé pour le compte du groupe avait suffisamment d’envergure et de métier pour poursuivre l’œuvre de mon père. Tous les membres du conseil d’administration et l’ensemble du personnel acceptèrent cette proposition. 
Ma mère épousa Alexandre Dupeyrieux en grand secret deux ans après le décès de mon père. Ni ma grand-mère paternelle ni moi ne voulurent y assister, en mémoire pour celui qui avait trop compté dans nos cœurs. Je venais de passer mon bac avec beaucoup de difficulté, après avoir échoué une première fois l’année précédente. Sitôt installé dans notre maison, mon nouveau beau-père prit immédiatement la direction de celle-ci. Il m’informa qu’il serait mieux pour moi qui avais atteint ma majorité de me tracer un chemin dans la vie. Chemin qui devait commencer à partir de la grille de notre parc, dans une direction qu’il me fallait tracer tout seul. Ma mère n’osa même pas intervenir sur cette décision.
Je décidais de partir effectuer mon service militaire. Du moins, pendant une année il me serait possible de réfléchir à la situation et à mon avenir qui s’annonçait pas mal compromis. Durant cette période passée en Allemagne, je ne suis pas revenu chez moi. J’ai écris plusieurs fois à ma mère, mais je n’ai pour ainsi dire pas reçu beaucoup de lettres et en tout cas aucun colis de sa part. Chacune de ses lettres était laconique, sans mot d’encouragement ni d’espoir de se revoir prochainement. Finalement, nous n’avions pas grand chose à nous dire et je finissais par me demander si elle avait pu aimer un peu son fils. 
Au cours du dernier trimestre de cette année passée dans le cocon de l’Etat, j’ai pu me documenter sur les filières professionnelles qui pouvaient m’intéresser. A vrai dire, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Le remariage de ma mère avec cet individu m’avait quelque peu perturbé. Je sentais que de toutes les façons je ne pourrai pas revenir à la maison vu que les conditions avaient profondément changé. 
Ce que j’ai pu comprendre et apprécier durant mon service c’est qu’en Allemagne, tout comme en France, il y a des forêts. Durant nos sorties nous avons longuement marché dans ces vastes étendues où chaque être devient minuscule, où tout revêt de l’insignifiance. Ce système d’existence basique avec ses quelques règles liées à des chaînes alimentaires me plaisait. J’ai eu une sorte de coup de foudre pour l’environnement, pour les arbres et leurs milieux naturels. Une passion commençait à poindre en moi. Je décidais alors de m’orienter vers cette filière. Après avoir effectué quelques recherches l’Institut Supérieur de Sylviculture accepta de m’inscrire. Cela me rassura un peu.
Je pris la ferme résolution de m’engager dans cette voie et de réussir ce challenge par tous les moyens. Il fallait que je m’en sorte d’une façon ou d’une autre. Celle-ci ne me paraissait pas si mauvaise.
Lorsqu’en septembre je revins à la maison, sitôt mes obligations militaires accomplies, mon beau-père approuva, sans avoir sérieusement discuté avec moi des conséquences d’une telle orientation, mon projet et me pria de m’organiser avant le début des cours. Ma mère, la tête basse en signe de soumission, acquiesça à ces recommandations sans poser de question. Je sentis à ce moment-là qu’un mur venait de s’écrouler entre elle et moi. Comment avait-elle pu m’abandonner de cette façon ? Pourquoi avait-elle choisi le parti d’accepter sans broncher l’attitude de cet homme? Je regrettais encore plus mon père.
C’est ainsi que j’ai débarqué un matin de fin septembre. J’ai rapidement trouvé cette chambre en consultant une annonce dans le journal. Pour le reste, ce furent trois années d’études difficiles mais captivantes. Etudiant relativement pauvre, je vivais chichement de la rente qu’avait prévue mon père avant son décès. Ce revenu suffisait tout juste à payer la chambre et mes repas pris le midi à l’institut. Pour le reste, les sorties étaient rares, les livres nécessaires étaient souvent empruntés aux copains ou acquis à des étudiants des cours supérieurs qui les cédaient à moindre prix. J’achetais mes quelques habits dans des solderies. Dans l’ensemble c’était dur mais j’y parvenais en tirant un peu partout. La soudure se faisait tant bien que mal. Une fois, j’ai essayé de demander un peu d’argent à ma mère. C’est son mari qui m’a répondu qu’étant désormais parti de la maison il m’appartenait d’agir en homme et de prendre mes précautions afin de gérer mon budget sans vouloir dépenser plus que ce que l’on possède. J’ai conservé cette lettre sur moi.
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Aujourd’hui, j’ai 23 ans. Je viens d’obtenir mon diplôme et j’ai mal à la tête. Ma grande satisfaction est d’avoir réussi ce challenge contre tout le monde. J’ai pu me prouver qu’après tout je pouvais réussir en mettant toutes les chances de mon côté. Certes, j’ai eu de la chance mais j’ai aussi travaillé et pas mal bidouillé.
Je me soulève un peu sur un coude. Un goût amer dans la bouche m’indispose. Sans doute les mélanges d’alcool qui titillent ma vésicule biliaire et provoquent des brûlures gastriques. On s’est bien marré aujourd’hui tous ensemble. Quelle nouba ! Il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas autant amusé.
Dehors, il fait encore jour. Je me lève en me passant les doigts dans les cheveux. Ça va mal. J’ai besoin de prendre un peu l’air. Sur le tabouret qui me sert de table de nuit, le réveil indique 8 heures 15. J’aurais dormi deux heures ! Je prends un pull et sors. Dans le bas de l’escalier, je croise ma logeuse qui me regarde d’un œil scrutateur.
    • Ça n’a pas l’air d’aller Julien ?
    • Si, si madame. Avec des copains on a fêté les résultats et on n’a pas fait attention. Je suis un peu vasouillard, mais ça va aller.
    • Alors, cet examen ?
    • Je l’ai.
    • Bravo mon petit Julien. Je suis bien contente pour vous.
Là dessus, je lui adresse un petit signe de la main et je gagne la rue. Ouf de l’air ! Ça fait du bien de respirer autre chose que des nuages soporifiques. Je gagne le centre ville où il règne le soir une ambiance sympathique. Les terrasses des cafés sont pleines de gens qui dégustent des glaces. Diverses musiques me parviennent témoignant de la douceur de vivre. Je m’installe à une table et commande un grand perrier. A différents endroits, je vois des copains qui continuent à leur façon la fête. Je n’ai plus envie de me joindre à eux. C’est assez comme ça, il faut un temps pour chaque chose. Soudain, une main se pose sur l’une de mes épaules. C’est Marc Raynaud, mon prof de botanique.
    • Bonsoir Lacroix. Vous permettez que je prenne une chaise ?
    • Allez-y. Elles sont toutes libres.
    • Je voudrais tout d’abord vous féliciter. Je dois avouer que si l’un d’entre vous a pu me surprendre, c’est bien vous Lacroix. Je n’aurais jamais imaginé que vous pouviez réussir.
    • Rassurez-vous, j’ai sans doute été le premier surpris. Enfin, je ne vais pas me plaindre de l’avoir décroché.
    • Bien sûr. D’autant que cette année les épreuves étaient particulièrement dures. Vous n’êtes que 12 sur 37 à être reçus. Ça ne va pas faire de la publicité pour l’institut.
Il commande une bière et poursuit :
    • Que comptez-vous faire maintenant ?
    • Je ne sais pas encore. Sans doute rechercher un poste de gestionnaire dans un parc ou passer un concours pour aller à l’Environnement.
    • Vous êtes jeune, seul et plein de bon sens. Pourquoi ne partez-vous pas à l’étranger ? Vous savez qu’il y a des places intéressantes à prendre. Avec votre diplôme de spécialité, vous n’auriez pas beaucoup de mal de vous trouver un sérieux débouché, quitte à revenir dans quelques années.
    • J’y avais vaguement songé, mais je n’y avais pas prêté plus d’attention car je ne pensais pas réussir comme ça, du premier coup.
    • Il y a un site sur Internet qui s’est consacré à tout ce qui touche le domaine forestier dans le monde. Un chapitre est réservé aux questions d’emploi. Voyez si vous ne pouvez pas y trouver quelque chose.
De retour à la chambre, je me sens mieux. Cette journée aura été complète. Une bonne nuit de sommeil réparera les maux et me remettra d’aplomb.
En regardant ma montre, je constate que j’ai complètement oublié Catherine. Tant pis, j’essaierai de la voir demain pour m’excuser. Elle aussi commence à m’agacer avec toutes ses idées et tous ses rêves.
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J’ai suivi de conseil de Marc Raynaud en me rendant le lendemain matin au bureau des étudiants de l’institut. La responsable m’a à la bonne. Lorsque je lui ai parlé de consulter Internet elle m’a accompagné jusqu'à un micro-ordinateur qui fonctionne un peu en libre service. A moi de me connecter comme un grand et de faire les recherches nécessaires.
Grâce à un moteur de recherche facile à piloter j’ai trouvé le site en question. C’est vrai que les informations contenues sont complètes et détaillées. Tous les domaines traitant du thème de la forêt sont présents. Je retrouve des sujets qui ont fait partie de mes cours et d’autres plus ou moins spécialisés dans d’autres domaines. Je trouve notamment une page plus particulièrement consacrée à l’emploi. C’est fou le nombre de postes qui sont disponibles un peu partout. Toutes les qualifications sont recherchées et tous les pays du monde sont indiqués. Lorsqu’on pense au chômage qui existe on se demande pourquoi on n’arrive pas faire coïncider les offres et les demandes. Il est vrai que certains métiers sont difficiles à exercer et souvent dans des conditions qui frisent l’inconscience. Pour l’ensemble des postes, il faut accepter de s’expatrier pendant un certain temps. Je sélectionne des profils de poste compatibles avec ma formation et lance une édition des résultats. Une liste détaillée apparaît bientôt sur plusieurs feuilles qui sortent de l’imprimante. Je les prends et retourne voir la responsable du bureau la remercier de son aide. 
A la poste, il y a toujours autant de monde dans des files d’attente. Parmi ces gens, je reconnais Dumoulin qui porte dans ses bras un paquet ficelé et étiqueté.
    • C'est l’anniversaire de ma nièce. Je lui envoie une poupée du coin, elle en fait la collection. Je ne pense pas qu’elle ait celle-ci.
    • T'aurais pas sur toi une carte téléphonique ? Je dois téléphoner à ma mère pour lui annoncer les résultats.
Il pose son colis encombrant et fouille dans une poche intérieure de son blouson. Il en extrait une carte encore sous emballage et une autre usagée.
    • Il doit encore rester quelques unités sur celle-ci. T’as qu’à les utiliser.
    • Merci.
Il reprend sa place dans la file et je me précipite dehors pour trouver une cabine de libre. Le combiné à une main, la carte dans l’autre, je m’arrête. C’est bête, mais je ne me souviens plus du numéro ! Ça fait pas mal de temps que je ne l’aie plus composé et il m’est complètement sorti de la tête. En plus, je n’ai pas pris mon portefeuille sur moi. J’aurais pu le retrouver dans le répertoire téléphonique. Dommage, il faudra que je revienne. Je sors, en rage contre moi.
La matinée est belle, un souffle léger rafraîchit les ardeurs du soleil qui commence à chauffer durement. Aujourd’hui, c’est jour de marché. Souvent, il m’arrive de m’y promener afin de retrouver cette agréable ambiance qui réunit les commerçants et les clients. Il y règne des couleurs et des odeurs salées, épicées, sucrées, dans des mélanges les plus divers. Je décide une fois de plus de m’y rendre pour mon plus grand plaisir. Des fleurs par brassées, des fruits parfumés, notamment des cerises et des abricots que l’on chipe sous le regard faussement critique des commerçants, des bancs de poissons et de crustacés où s’agitent des homards et des araignées de mer encore bien vivants. Tout ce monde se côtoie avec beaucoup de simplicité et de complicité. Les cris et les rires qui fusent constamment alimentent cette ruche géante. Cela me rappelle les marchés où ma grand-mère m’emmenait lorsque j’étais tout jeune enfant. J’étais très impressionné par tout ce qui m’entourait. Nous revenions avec nos commissions en dégustant des fruits et des friandises qu’elle m’achetait. Toutes ces images sont toujours bien intactes dans mon esprit. Alors, traverser un marché comme celui-ci me permet de me replonger dans mon enfance.
Je m’achète un sandwich et décide d’aller le manger au bord de l’eau, le long du canal qui passe non loin de la cathédrale. Il y a souvent des bateaux qui s’arrêtent le temps d’une courte visite. Ces bateaux représentent des instants de rêve et de liberté. J’envie quelquefois ceux qui sont dessus. Malheureusement, je ne peux que les contempler.
Confortablement installé sur un banc, je contemple dans l’eau les branches de l’arbre qui m’abrite du soleil. Au grès des vaguelettes formées par le souffle du vent, ces branches prennent des formes bizarres. Je me sens bien. Les yeux fermés, j’écoute le clapotis de l’eau sur les coques des bateaux amarrés tout près. Je mords mon sandwich par petites bouchées pour faire durer le plaisir de manger ce pain qui vient juste de sortir du four. J’ai l’impression que le temps s’arrête, que mon corps n’existe plus, que je suis ailleurs ou nul part. Mon esprit tente de faire le vide. J’ai besoin de balayer et de nettoyer mes pensées afin d’avoir une vision plus nette de ce que je suis ou du moins de ce que je crois être. Je sens mon corps qui commence à se détendre comme si des éléments s’empressaient de le quitter pour le libérer de toutes contraintes malsaines. Je reste ainsi immobile un long moment goûtant le fruit de ce bien-être révélateur.
Quelle va être maintenant ma vie ?
Ce sont les cloches de la cathédrale qui, en sonnant les douze coups de midi, me ramènent à une réalité. C’est totalement détendu que je finis tranquillement mon frugal repas. Aussitôt après, j’effectue une lecture attentive des postes offerts sur le site Internet susceptibles de pouvoir m’intéresser.
Mes critères de sélection n’ayant pas été suffisamment exprimés, je dois éliminer les postes qui ne correspondent pas à mon profit et à mes centres d’intérêt. Ce travail étant accompli, il reste encore 3 postes. Le premier est basé au Canada, il s’agit de réaliser une étude environnementale relative à l’impact des pollutions sur l’écosystème forestier dans la province du Québec. Le deuxième consiste à prendre en charge le phénomène de déboisement par les populations à la recherche de nouveaux terrains agricoles et ses incidences économiques dans une région du Brésil. Le troisième est une offre d’emploi lancée par un particulier, propriétaire d’un immense domaine forestier en Slovénie, qui recherche un gestionnaire pouvant mettre en place un modèle d’observation patrimoniale à long terme.
Il s’agit de 3 postes différents, mais combien intéressants. Bien sûr, la formation suivie au cours de ces années me permet valablement de postuler. Il s’agit d’un choix à faire suivant des critères d’ordre personnel. Après tout, le sort a bien voulu m’ouvrir la voix du succès, autant lui donner encore le soin de décider pour l’avenir. Je vais envoyer mon dossier en réponse à chacune de ces propositions. Sans doute ne verrais-je rien venir sinon le premier qui se décide sera le bon. Je n’ai rien à perdre, ayant tout perdu avec la mort de mon père. Je ne dispose que de mon temps.
Fort de cette décision prise sans trop de réflexion, je referme les yeux à nouveau en basculant la tête en arrière. Le bien-être aussitôt m’envahit me procurant une sensation de flottement. Le vide intérieur se crée m’emportant très loin de toute matérialité. Ça fait vraiment du bien de se laisser ainsi partir dans l’inconscient.
Lorsque je reprends vie au bord de ce canal, je constate que plusieurs bateaux ont été remplacés par d’autres, que des pêcheurs se sont installés en face sur une sorte de ponton en bois et que des promeneurs profitent de la fraîcheur des arbres pour aller le long des chemins de halage. Je me lève lentement en étirant mes membres engourdis et refais le trajet inverse pour passer chercher dans ma chambre mon portefeuille avant d’aller téléphoner à ma mère.
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Je suis enfin dans une cabine téléphonique. Maintenant que je compose le numéro, celui-ci me revient à l’esprit. C’est plus facile lorsqu’on peut le lire sur un répertoire mais à la réflexion j’aurais pu m’en souvenir. Ça sonne.
    • Allô! .
    • Bonjour, pourrais-je parler à madame.. Dupeyrieux, s’il vous plaît ? J’avais complètement oublié son nouveau nom de famille. Ce doit être une bonne qui a décroché.
    • De la part de qui ?
    • De son fils.
Je perçois le combiné qu’on repose sur un meuble et le son de ses pas qui résonnent sur le parquet. J’espère qu’elle sait où est ma mère parce que je n’ai pas beaucoup d’unités. Peu de temps après de nouveau des pas, plus rapides et plus secs et puis ma mère prend le téléphone.
    • Allô! Julien 
    • Bonjour maman. Tu vas bien ?
    • Oui ça va et toi mon grand ?
    • Ça va. Je voulais te dire que je suis reçu à mon diplôme. J’ai enfin terminé.
    • C’est bien. Je te félicite car tu as dû en baver durant tout ce temps passé là-bas. Que comptes-tu faire maintenant ?
    • Je ne sais pas vraiment. Il faut que je réfléchisse un peu.
    • Comme tu dois le comprendre, il n’est pas question que tu puisses revenir ici. Alexandre ne le voudrait pas.
    • Non, non rassure-toi maman, j’ai des projets. Je voulais seulement prendre de tes nouvelles et te dire que j’étais reçu. C’est tout.
    • Dans ce cas d’accord. Je te remercie de m’avoir téléphoné. Il faut que je te quitte, Alexandre revient. Au revoir mon chéri, je t’embrasse.
Maman a raccroché avant que je lui dise au revoir. En retirant la carte, je constate qu’il reste encore quelques unités. Moi qui pensais être à court et que la conversation serait coupée ! Enfin, je l’ai eue c’est le principal. Maintenant, je vais retourner à la chambre pour faire mes bagages. Je n’ai plus rien à faire ici. J’irais à Paris, chez ma grand-mère en attendant que mon destin se dessine. C’est à cette adresse que je vais faire suivre mon courrier. Je vais la prévenir tout de suite. Avec elle, il n’y a jamais de problème, je peux y aller quand je le veux. Ma chambre est toujours prête. Je sais qu’elle va être contente de me recevoir. C’est la mère de mon père, alors c’est tout dire sur nos liens d’affection.

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